le Samedi 17 mai 2025
le Samedi 17 mai 2025 10:42 Ténoises et ténois

Sur la blancheur du bras nord

Éric McNair-Landry en ski aérotracté au milieu du Grand lac des Esclaves, longeant les impressionnantes crêtes de glace formées par la pression – les ondins glaciels. — Courtoisie
Éric McNair-Landry en ski aérotracté au milieu du Grand lac des Esclaves, longeant les impressionnantes crêtes de glace formées par la pression – les ondins glaciels.
Courtoisie
Tirés par le vent sur la glace du Grand lac des Esclaves, Éric McNair-Landry et Clémentine Bouche ont parcouru près de deux-cents kilomètres en ski cerf-volant. L’un transmet son expérience forgée aux confins du monde, l’autre découvre l’art de naviguer entre souffle, neige et incertitude.
Sur la blancheur du bras nord
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Le Grand lac des Esclaves n’a pas encore cédé sa place au printemps. Sur son bras nord, immense étendue blanche battue par les vents, deux silhouettes se sont élancées la semaine dernière, tirées par des voiles de nylon, glissant sur des skis. Pour Éric McNair-Landry c’était une traversée familière. Pour Clémentine Bouche, bien plus qu’un défi sportif : une véritable école d’aventure.

Tu pars et tu ne sais jamais si tu vas réussir ou pas. Les vents changent et tu ne sais jamais comment l’expédition va finir.

— Éric McNair-Landry, aventurier

Une voile fend le silence blanc, portée par le vent au cœur de l’immensité gelée.

Courtoisie

« J’aime partir pour être en nature, loin de la ville, me reconnecter », explique Clémentine. Elle a commencé le ski cerf-volant l’an dernier et tenait à profiter de cette longue journée sur la glace pour observer les changements de neige, de vent, et traverser ses premiers ondins glaciels. « Le but de ce voyage, c’était surtout d’apprendre, parce que j’ai très peu d’expérience, alors que là, j’ai un des meilleurs kiteskiers au monde avec moi. »

Éric McNair-Landry pratique le ski aérotracté depuis vingt-cinq ans. Il a grandi à Iqaluit, où il a commencé à organiser des expéditions, d’abord en ski ou en traineau à chiens, avant de se spécialiser dans les longues traversées à l’aide d’un cerf-volant de traction. Installé à Yellowknife depuis dix ans, il a parcouru plus de 20 000 kilomètres sur des terrains glacés, du Groenland à l’Antarctique, en passant par le Nunavut. Il est issu d’une famille d’explorateurs, où l’aventure se transmet de génération en génération.

Ce qu’il apprécie dans le ski cerf-volant, c’est l’imprévisibilité : « Tu pars et tu ne sais jamais si tu vas réussir ou pas. Les vents changent et tu ne sais jamais comment l’expédition va finir », il explique. Ce jour-là, après un bon début de progression, les vents avaient soudainement chuté. Éric estimait qu’ils se trouvaient à environ 25 kilomètres de la ville – une distance trop importante pour envisager un retour à pied sans difficulté. La situation devenait incertaine, et ils se demandaient s’il valait mieux continuer en espérant que le vent revienne, ou tenter de revenir avec ce qu’il en restait.

Il décrit un sport tactique, où les décisions s’adaptent au moindre changement. « On a besoin des stratégies pour s’assurer qu’on peut continuer. Par exemple, quand les vents tombent, il faut aller au milieu de la baie où il y a peut-être plus de vent, ou sur le bord sous le vent où le vent se compresse. »

Selon lui, le Grand lac des Esclaves constitue un terrain idéal pour le ski aérotracté : vaste, gelé pendant la majeure partie de l’année et facilement accessible. Il estime que c’est une excellente destination pour s’entrainer ou réaliser de courtes expéditions, en raison de la qualité fréquente de la neige, du relief peu accidenté et des vents généralement prévisibles.

Vue du ciel, l’immensité glacée du Grand lac des Esclaves s’étire à perte de vue, théâtre silencieux de l’effort et du vent.

Courtoisie

Mais peu de gens s’y lancent. « Ici, il y en a pas beaucoup en fait. C’est un sport qui est encore un peu expandu. » Le cout de l’équipement est un obstacle. « [Une voile] usagée pour commencer, ça peut couter 500 ou 1 000 dollars. Et si tu veux vraiment en faire, tu as besoin de kites de différentes grandeurs. » Pendant leur traversée, ils en ont utilisé quatre, dont une de 18 mètres. Eric explique : « C’est un peu comme un voilier. Quand il n’y a pas beaucoup de vent, tu mets une voile plus grosse. Tu as besoin de voiles pour des tempêtes et des journées sans vent. »

Clémentine, de son côté, décrit un itinéraire de 180 kilomètres, contre 212 pour Éric. « Si tu y vas directement, ça peut être entre 100 et 120 kilomètres. Mais parce qu’en kite-ski, comme si tu étais en voilier, souvent tu fais des virages en slalom. Tu dois remonter les kilomètres. »

Malgré le froid et la fatigue, l’expérience laisse visiblement des traces. Pour elle, comme pour lui, il y a dans cette pratique un mélange de liberté, d’effort et de jeu.