le Vendredi 6 juin 2025
le Dimanche 1 juin 2025 10:00 Culture

L’essor de la musique classique au modernisme 25

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En 1904, Maurice Ravel compose Miroirs, une œuvre pour piano en hommage à ses compagnons du Cercle des Apaches. Chacun des trois mouvements rend hommage à une discipline : poésie, musique et peinture. Une illustration musicale du modernisme, entre liberté artistique et expérimentation formelle.
L’essor de la musique classique au modernisme 25
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Miroirs est l’une des œuvres pour piano les plus importantes et fascinantes composées par Maurice Ravel. Écrite à Paris vers la fin de 1904, cette pièce s’inspire directement des personnalités et des esthétiques de quatre membres du Cercle des Apaches, ce groupe d’artistes et intellectuels avant-gardistes formé officiellement en 1903. Chacun des mouvements de Miroirs est dédié à l’un d’eux, représentant les nouvelles tendances de leur discipline respective.

Le premier mouvement, intitulé Les Noctuelles, est dédié au poète Léon-Paul Fargue. Il s’inspire du vol de ces petits papillons de nuit, appelés noctuelles, craints des agriculteurs pour leurs ravages nocturnes. Mais à Paris, dans les gares illuminées, ces insectes devenaient les protagonistes de ballets aériens que Fargue et Ravel observaient lors de leurs promenades nocturnes bohèmes. Le mouvement traduit ce miroitement léger, nerveux, presque halluciné, de leurs escapades parisiennes.

Le deuxième mouvement, Oiseaux tristes, est dédié à Ricardo Viñes, brillant pianiste et cofondateur du Cercle des Apaches avec Ravel. Viñes est l’un des interprètes clés des premières œuvres modernes présentées à Paris, notamment celles des membres du cercle. Oiseaux tristes évoque les chants lointains et désolés d’oiseaux solitaires, traduits en musique par des séquences de notes espacées, jouées à des tempi irréguliers. Glissandos étirés, silences suspendus, trilles vibrants s’enchaînent pour créer une atmosphère intime, presque suspendue dans le temps.

Le troisième mouvement, Une barque sur l’océan, est un poème symphonique miniature. Il déploie de fines micromélodies superposées à des harmonies ondulantes, formant une base sonore mouvante. La musique imite le scintillement de la lumière et le mouvement des vagues qui bercent une barque solitaire au cœur de l’océan. Ce morceau est dédié au peintre et scénographe Paul Sordes, membre engagé dans les courants esthétiques contemporains de la peinture.

Paul Sordes participe activement à la Société des artistes indépendants, un groupe d’avant-garde qui rejette les critères conservateurs du Salon officiel fondé par Jules Ferry, lequel maintenait une vision académique de l’art, parallèle à l’approche classique des conservatoires de musique. En réaction, la Société organise des expositions ouvertes, sans jury ni récompense, favorisant la liberté d’expression et l’innovation. L’esprit de Miroirs reflète donc aussi cette volonté partagée, chez les musiciens comme chez les peintres, de rompre avec les codes rigides pour explorer la sensibilité, la forme libre et les correspondances entre les arts.