le Vendredi 27 juin 2025
le Jeudi 26 juin 2025 18:06 Francophonie

Le centre franco-ténois, une utopie tenace

Dès les balbutiements du projet de centre communautaire, L'Aquilon a donné la parole aux acteurs de la communauté et a suivi l'ensemble des péripéties. — Photo Cristiano Pereira
Dès les balbutiements du projet de centre communautaire, L'Aquilon a donné la parole aux acteurs de la communauté et a suivi l'ensemble des péripéties.
Photo Cristiano Pereira
Voilà près d’un demi-siècle que la francophonie ténoise rêve d’un centre communautaire où se rassembler, s’éduquer, se divertir et croitre. Rétrospective et perspective d’un projet toujours actuel, à partir des archives de L’Aquilon.
Le centre franco-ténois, une utopie tenace
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Pour débusquer un mythe persistant, il faut préciser qu’il y a déjà eu, pré division, un centre communautaire francophone aux Territoires du Nord-Ouest… à Iqaluit. L’Aquilon du 20 octobre 1989, sous la plume de Jean-Luc Thibault, fait état de l’ouverture du centre dans un « vieil édifice qui a couté plus cher à rénover qu’à acheter ». Le Nunavut emporte hélas le centre avec lui lors de sa création, le 1er avril 1999.

Origines

Le concept d’un centre scolaire communautaire, basé à Yellowknife, existait déjà en novembre 1989, alors que l’école Allain St-Cyr venait d’ouvrir ses portes. En mai 1990, dans L’Aquilon, Jean-Luc Thibault annonce la seconde phase d’une étude sur la création d’un tel centre, axée sur la faisabilité financière, technique et politique.

Lors de la phase précédente, la firme ACORD, mandatée par la Fédération franco-ténoise (FFT) et l’Association franco-culturelle de Yellowknife (AFCY), a sondé population et intervenants sur trois modèles : centre interorganismes, maison de la francophonie et centre scolaire communautaire. Les deux derniers ont été retenus.

Les démarches pour l’implantation du projet seront menées jusqu’en 1992 par un comité réunissant l’AFCY, l’Association des parents francophones et la FFT. Son président, Fernand Denault, considère qu’un centre communautaire « établit une visibilité et ensuite sert à resserrer les liens entre les membres », rapporte le journaliste.

 Ce que je pense depuis longtemps, c’est qu’il faut mettre la Maison bleue [Laurent-Leroux] à terre et faire trois étages, avec une salle de spectacles entre 40 et 75 personnes.

— Jean-François Pitre, membre du conseil d’administration du CDÉTNO.

Modèle de centre communautaire soumis à Patrimoine canadien en 2021.

Stantec

Le scolaire et le communautaire

En 1994, le centre francophone est toujours un objectif, mais les parties prenantes se sont fixées sur le modèle alliant scolaire et communautaire. 

À partir d’études de faisabilité réalisées précédemment, le Conseil scolaire de Yellowknife (CSY) entend demander du financement à Patrimoine canadien pour un bâtiment logeant l’école Allain St-Cy, ainsi que les autres groupes et services francophones. Le 18 octobre, le CSY anime une rencontre des partenaires du projet, où est constitué un comité chargé du dossier alors que les perspectives financières semblent bien meilleures que précédemment. « Le centre scolaire communautaire […], c’est un lieu où l’on peut se retrouver », confie le président de l’AFCY, Marc Lacharité à Agnès Billa, dans un texte paraissant le 21 octobre. « Depuis que je vis à Yellowknife, je trouve que ça manque, un lieu de rassemblement comme celui-là. »

La décision officielle portant sur la construction d’un bâtiment permanent pour l’école Allain St-Cyr n’a pas encore été prise, mais déjà, on étudie la possibilité d’y incorporer le centre scolaire communautaire. Finalement en 1999, l’école francophone de Yellowknife sera bâtie sur la rue Taylor et ne comportera qu’un unique espace communautaire : la rotonde.

Le rêve d’un centre francophone repose désormais sur un terrain de la 43e rue. « Il regrouperait des espaces de location, de divertissement et de travail pour la FFT, L’Aquilon et l’AFCY », rapporte Virginie Auger dans l’hebdomadaire ténois du 16 décembre 1999. On évalue que le cout d’une telle bâtisse jouerait entre 1,6 et 2 M$. 

Le 7 septembre 2001, Karine Massé fait état d’une étude commandée par l’AFCY sur le fameux centre, faisant état d’un intérêt à collaborer de la part du GTNO.

La journaliste rappelle « qu’à l’époque, un acompte avait été versé pour acheter le terrain situé à côté du Bruno’s ». Le centre pourrait couter entre 2 et 3 M$. Il faudrait ensuite l’autofinancer via la location d’espaces.

En avril 2002, le projet est présenté au Comité sur la révision de la Loi sur les langues officielles par le coordonnateur de son implantation, Michel Lefebvre. 

Simon Bérubé rapporte qu’un plan d’affaires doit être déposé à Ottawa fin février 2003.

Loin de la coupe…

La construction du centre communautaire fait partie des objectifs de Patrimoine canadien pour 2002-2005, annonce Simon Bérubé en une de L’Aquilon le 16 mai 2003.

Cependant, le directeur du district de la Saskatchewan et des TNO pour Patrimoine canadien, Denis Racine, rappelle « qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres ». 

Le gouvernement territorial a recommandé le versement d’un demi-million $ par Patrimoine canadien, somme qui servirait à l’achat d’un terrain et à l’embauche d’architectes. Une offre a été déposée pour l’acquisition des terrains situés 5114, 53e Rue. Mais coup de théâtre… le lieu convoité est acheté par le privé. L’AFCY conteste la vente, qui n’aurait pas été organisée de façon transparente et selon le processus normal, mais c’est sans effet.

Un projet toujours dans les têtes

L’idée d’un centre communautaire est toujours vivante aujourd’hui, assure la directrice générale de la FFT, Audrey Fournier. « C’est un projet qui est depuis beaucoup trop longtemps sur la table des Franco-Ténois, qui est toujours pertinent », précise la directrice, ajoutant que l’idée a fait consensus lors d’une récente consultation du milieu associatif.

Le projet avait été mis sur pause suite aux exigences de Patrimoine canadien que la demande soit retravaillée. Ce qui a été fait, dans une nouvelle proposition déposée en octobre 2024. Il s’agit d’ériger un nouvel édifice certifié LEED de trois étages sur l’espace actuel de la Maison bleue, où sont actuellement réunis le milieu associatif et Médias ténois. Le cout : 12 650 785 $.

Mme Fournier concède qu’il y a peu de financement disponible du côté de Patrimoine canadien, mais que l’idée était de déposer une demande qui serve de point de départ aux analyses, pour faire connaitre le projet et mobiliser les décideurs. Éventuellement, la demande pourra être rescindée pour plusieurs ministères. La FFT rencontrera éventuellement l’ex-mairesse de Yellowknife devenue ministre des Relations Couronne-Autochtones, Rebecca Alty. « Elle peut être une bonne alliée », croit la directrice générale de la FFT. « Elle connait le projet, les besoins de la communauté. »

« Il faut être honnête, des projets comme ça, ce n’est pas quelque chose qui se fait en déposant une demande puis après ça, l’année prochaine, tu jettes ta première pelletée de terre. »

 Ébauche de l’attribution d’espaces dans le projet présenté par Stantec en 2020

Stantec

Plusieurs coups d’épée dans l’eau

En 2004, le Comité du centre communautaire francophone cherche à s’associer avec la ville de Yellowknife pour ériger le centre sur le site de l’aréna Gerry Murphy, qui doit être démoli.

« J’espère que la ville est consciente que le fait francophone est un atout culturel pour Yellowknife […] », fait valoir le président de la FFT, Réjean Felx. dans un texte de Simon Bérubé du 26 mars. 

Alors qu’on projette d’agrandir l’école francophone, des remous troublent la Table des organismes francophones de Yellowknife, quant à savoir s’il faut y greffer un espace communautaire ou ériger un centre distinct.

Les bureaux, salles de conférences, salles d’archives et autres espaces associatifs demandés dans le rapport du consultant Marquis Bureau, déposé au GTNO en juillet 2007, sont mentionnés dans le plan du GTNO, mais semblent absents de la phase 2 de l’agrandissement de l’école, qui doit être complétée en 2009-2010.

Ils pourraient faire partie d’une troisième phase; le président de la Commission scolaire francophone André Légaré, est favorable au volet communautaire, mais répète que la priorité de la Commission est l’éducation. Le président de la FFT, Fernand Denault, se rebiffe. « La solution n’est pas dans une phase 3 un peu imaginaire […] », rapporte Nicolas Bussière, le 21 décembre 2007.

Les espaces aménagés à l’école Allain St-Cyr sont insuffisants pour les besoins de la francophonie, selon le directeur général de la FFT, Léo-Paul Provencher, il lorgne l’édifice du bureau de poste du centre-ville, qui est mis en vente. 

Le 29 aout 2008, Louis-Philippe Morissette rapporte des propos du maire Gordon Van Tighem, qui allègue que les Dénés de Yellowknife et la Coalition des sans-abris ont préséance sur la FFT. 

L’édifice est finalement acheté par Homes North Ltd. et Denendeh Investments.

Une église de la 50e rue suscite aussi l’intérêt, mais encore une fois, le succès ne se matérialise pas.

La der des ders ?

Dans un article daté du 30 aout 2019, Batiste Foisy rappelle que la création d’un centre culturel et communautaire francophone « revient périodiquement et échoue avec la même régularité ». La quatrième sera-t-elle la bonne ?, demande-t-il. « C’est notre dernière chance », lui répond la directrice générale de la FFT, Linda Bussey, ajoutant : « C’est la quatrième fois qu’on reçoit du financement pour une étude de faisabilité, je n’ai pas l’impression que l’occasion va se présenter à nouveau. Ça devrait être la bonne. »

La firme d’ingénierie Stantec est retenue pour préparer l’étude de faisabilité. Trois lots vacants au centre-ville de Yellowknife sont identifiés pour construire un nouveau bâtiment dépassant les normes écologiques. 

La version finale du plan d’affaire Stantec est présentée à la population le 11 février 2020, rapporte Mélanie Genest. On y identifie le site des anciens bureaux d’Ecology North, sur la 51e rue, comme étant le plus approprié. À cette étape, la Maison bleue qui rassemble une partie des organismes franco ténois, serait soit vendue, soit détruite pour ériger des espaces de stationnement à étages.

Hélas, la demande au fédéral ne sera pas reçue favorablement. 

Des contraintes de rentabilité et de durée

Questionné sur les obstacles qui ont empêché la réalisation d’un centre communautaire franco-ténois durant toutes ces décennies, Jean-François Pitre identifie les difficultés d’être rentables à long terme.

« Au début, le financement n’était pas là pour des gros projets comme ça, rappelle M. Pitre, une figure incontournable du milieu associatif et éducatif franco-ténois depuis plusieurs décennies. […] Mais le plus gros problème avec le Fédéral, c’est qu’il veut que ce soit rentable. » Mais sans subvention plus substantielle, considère-t-il, cette rentabilité, par exemple en louant des locaux à long terme, est inatteignable.

Aujourd’hui, selon Jean-François Pitre, le milieu francophone a trop grandi pour loger à une seule enseigne. « Ce que je pense depuis longtemps, dit M. Pitre, aujourd’hui membre du conseil d’administration du CDÉTNO, c’est qu’il faut mettre la Maison bleue à terre et faire trois étages avec une salle de spectacles pour 40 à 75 personnes. »

« Faut pas oublier qu’on est juste 1200, 1500 », dit-il.